Écrire: une nécessité
Lors de mes études en lettres, au cégep, on m'a fait lire un des grands classiques que doit avoir lu tout aspirant écrivain: Lettres à un jeune poète de Rainer-Maria Rilke.
Dans ces lettres, Rilke expose à son correspondant sa vision de l'écriture et lui prodigue quelques conseils. Et voici la première réflexion qu'il fait concernant l'écriture, le besoin d'écrire:
"Entrez en vous-même. Cherchez le besoin qui vous fait écrire: examinez s'il pousse ses racines au plus profond de votre coeur. Confessez-vous à vous-même: mourriez-vous s'il vous était défendu d'écrire? Ceci surtout: demandez-vous à l'heure la plus silencieuse de votre nuit: "Suis-je vraiment contraint d'écrire?" Creusez en vous-même vers la plus profonde réponse. Si cette réponse est affirmative, si vous pouvez faire front à une aussi grave question par un simple et fort "Je dois", alors construisez votre vie selon cette nécessité." (p. 20)
La jeune étudiante en lettres de l'époque avait longuement réfléchi à la question. Mais il y avait déjà longtemps que la réponse est évidente pour moi. Vivre sans écrire n'aurait aucun sens. Aucune saveur. Aucune couleur. C'est pour cela aussi que mon problème de santé est si grave, si central dans ma vie. Car non seulement il compromet mon espérance de vie, mais surtout, il vient menacer tout ce qui fait que cette vie a un sens!
Oui. Il y a longtemps que je sais la place qu'a l'écriture dans ma vie. Mais il est récent que je l'ai assumée. Et cet état ne se fait pas sans heurts intérieurs. Je voudrais, parfois, ne pas être esclave de l'écriture. Pouvoir vivre sans elle, ne pas dépendre d'elle. Mais l'écriture me domine totalement. Sans ménagements.
Rainer-Maria Rilke. Lettres à un jeune poète. Paris, Bernard Grasset, 1992 (1937). Coll. "Les cahiers rouges". 147 p.
Illustration: Dessin de Rilke en 1917 par Emil Orlik.